11
Sabin était couvert d’une épaisse couche de sang séché qui masquait sa peau, une lueur féroce brillait dans ses yeux, et il dégageait une forte odeur métallique. Il avait parfaitement conscience d’être repoussant et effrayant. En remontant du donjon, il avait eu l’intention de se doucher avant d’aller retrouver Gwen. En chemin, il s’était arrêté pour passer voir Amun, lequel ne se tordait plus de douleur, mais gémissait toujours sur son lit, la tête entre les mains.
En le découvrant dans cet état, Sabin s’était senti coupable de lui avoir demandé d’extorquer ses secrets au chasseur de la pyramide. Amun n’en pouvait plus d’être encombré du chaos des humains. Mais c’était fait, on ne pouvait plus revenir en arrière… Il s’était donc consolé en se disant qu’Amun était d’accord pour coopérer et accepter la part de souffrance qu’apportait cette guerre.
Il avait donc pris la direction de sa chambre, pour jeter un rapide et discret coup d’œil à Gwen – juste pour vérifier qu’elle allait bien. Est-ce qu’Anya avait réussi à la faire manger et à lui soutirer des confidences ? Ces questions, qui le tracassaient, l’avaient poussé à écourter l’interrogatoire des prisonniers.
Mais Gwen ne se trouvait pas dans la chambre.
Il avait tout de suite pensé qu’elle pouvait être avec Paris, lequel avait quitté le donjon peu avant lui. Fou de rage, il avait couru vers la chambre de Paris. Gwen lui appartenait. Elle était à lui. À lui. Sous sa responsabilité. Personne n’avait le droit de poser ses mains sur elle. Il projetait de l’utiliser pour leur cause. Paris risquait de l’effrayer et de tout compromettre. Et c’était uniquement pour cela, et pas parce qu’il était jaloux, qu’il voyait tout en rouge et que ses ongles se transformaient en griffes.
Mais, heureusement pour Paris, il était seul. Sabin l’avait trouvé allongé sur son lit, en train de boire de l’alcool mêlé d’ambroisie à même la bouteille.
Il en avait été surpris et choqué. Paris était autrefois le plus joyeux et le plus optimiste des Seigneurs de l’Ombre, et voilà qu’à présent, il se droguait à l’ambroisie. C’était de la folie ! Un guerrier alcoolique n’était pas un bon guerrier. Sabin avait failli intervenir, puis il s’était dit qu’il valait mieux en parler d’abord avec Lucien. Ensuite, il avait entendu des rires de femmes et avait filé en direction du bruit, oubliant totalement Paris. C’était à ce moment-là qu’il avait découvert Gwen dans la salle de repos, rebaptisée « salon » par Anya. Elle paraissait détendue et joyeuse. Et pas du tout effrayée comme il l’avait craint.
Son regard alla de Gwen à William. Il écumait de rage. Crainte gémissait. Il cherchait maintenant à s’en prendre à William, qui avait voulu lui dérober sa proie.
— Laisse-moi ce guerrier, supplia-t-il. Je vais lui faire regretter son attitude.
— Patience, répondit Sabin.
Il venait tout juste d’exécuter un chasseur, et il n’était pas pressé d’ajouter une victime à sa liste. Et puis, surtout, il ne voulait pas que Gwen soit témoin d’un acte de violence.
Quand elle le vit, elle cessa de rire et l’angoisse se peignit sur son visage. Sabin se demanda si elle avait peur pour ce William, qui venait de lui proposer avec un culot monstrueux de la prendre sous son aile. La sympathie qu’il éprouvait jusque-là pour ce bourreau des cœurs s’envola d’un seul coup.
— Sabin, mon ami ! s’exclama celui-ci en se levant d’un bond, le sourire aux lèvres. Nous parlions justement de toi. Mais je n’irai pas jusqu’à dire que je suis content de te voir.
— Je m’en doute et je ne vais pas tarder à te prouver que tu fais bien de ne pas te réjouir, grommela Sabin. Gwen, ajouta-t-il sans quitter William du regard, retourne dans ta chambre.
Anya vint se placer en bouclier devant William.
— Inutile de lui en vouloir, Sabin, dit-elle d’un ton conciliant. Il ne pensait pas à mal. Tu sais bien qu’il est à moitié demeuré, surtout en présence d’une femme.
Au lieu de repousser la déesse pour affronter Sabin en homme, William le provoqua d’un petit geste de la main, tout en prenant soin de rester caché.
— Je pensais tout de même un peu à mal, corrigea-t-il. Mais comment faire autrement ? Elle est diablement belle, et je suis privé de femmes en ce moment. Ça fait plusieurs heures que je n’ai pas touché une femelle.
— Gwen, file dans ta chambre, gronda Sabin. Tout de suite.
Il tira un poignard de sa ceinture et essuya lentement le sang qui tachait encore la lame.
— Tu as beau te cacher derrière Anya, tu ne m’échapperas pas, reprit-il.
Gwen sortit brusquement de la transe dans laquelle l’avait plongée l’arrivée intempestive de Sabin et poussa un petit cri étouffé. Quand il avança en direction de William, elle leva un bras pour l’arrêter. Sa main rencontra son ventre et s’y posa. Il se sentit aussitôt envahi d’une chaleur délicieuse et intense. Aussi intense que si elle avait pris son sexe dans sa bouche.
— Je t’en prie…, murmura-t-elle. Ne fais pas ça.
Il hésita. La détermination se lisait dans son regard, et il comprit qu’il n’avait aucun moyen de l’obliger à quitter la pièce. Il en fut un peu surpris. Cette timide créature avait donc parfois conscience de sa puissance… Puis il la soupçonna de vouloir protéger William, et il n’en eut que plus envie de le punir.
— Réfléchis un peu, dit William d’un ton goguenard, en posant ses mains sur les épaules de la déesse, comme pour le narguer. Je n’ai rien fait de mal. Cette femelle ne t’appartient pas, il me semble.
Les narines de Sabin frémirent et ses muscles se crispèrent, mais il parvint à résister à l’envie de se jeter sur ce malade de William. Sans doute le devait-il à la présence de Gwen, qui tremblait tout contre lui. À ses doigts qui caressaient son torse, chauds et insistants.
— Qu’est-ce que tu en sais ? rétorqua-t-il.
— Quand une femme n’est pas libre, je le sens. Ce n’est pas ça qui m’empêche de l’approcher, mais je le sens. Et Gwen, j’ai le regret de te l’annoncer, est libre comme l’air.
La main de Gwen s’agita devant le visage de Sabin, pour attirer son attention.
— Il ne s’est rien passé, insista-t-elle d’un ton implorant. Et puis, je ne vois pas pourquoi tu te mets dans cet état. Toi et moi, nous ne… Enfin, nous…
— Tu es à moi, répondit-il d’un ton buté tout en fixant William. Tu es sous ma protection.
Il songea qu’il devait la posséder, la marquer, pour que William et les autres comprennent qu’ils ne devaient pas l’approcher.
— Tu m’appartiens.
C’était décidé. Il la marquerait. Il n’avait plus le choix.
— Viens, murmura-t-il en lui prenant la main.
Il fit volte-face et l’entraîna avec lui. Elle se laissa faire, et c’était tant mieux, parce que cette fois il l’aurait emportée de force sur son épaule – après avoir fait sauter quelques dents à William. Il entendit ce dernier ricaner, Anya le traiter d’idiot, et le bruit d’une main qui claque à l’arrière d’un crâne.
— Tu veux te faire virer de ce château ou quoi ? D’après toi, si tu devais te battre avec Sabin, de quel côté serait Lucien ?
— Lucien serait de ton côté, rétorqua William. Et toi, tu me défendrais.
— Sans doute, admit Anya. Mais n’oublie pas que je possède ton précieux livre, et que chaque fois que tu fais une bêtise, je déchire une page que je jette à la poubelle.
William gronda.
— Un jour, je vais te…
Sabin ne les entendit plus. Le son de leurs voix était couvert par le halètement de Gwen, qui tentait de s’adapter à son allure.
— Où allons-nous ? demanda-t-elle d’un ton angoissé.
— Dans ma chambre. Et je te rappelle que je t’avais interdit d’en sortir.
— Je ne suis pas ta prisonnière, mais ton invitée !
Il grimpait à présent l’escalier et ralentit pour qu’elle puisse le suivre. En chemin, ils croisèrent Reyes et Danika, puis Maddox et Ashlyn, qui allaient se restaurer dans la cuisine. Danika et Ashlyn manifestèrent l’intention d’être présentées et d’entamer la conversation avec Gwen, mais Sabin continua à avancer sans même leur répondre.
— Qu’est-ce qui te rend si furieux ? demanda Gwen tout en s’agrippant à sa main. J’aurais pu au moins leur dire un mot… Je ne comprends pas ce qui t’arrive !
Il remarqua au passage qu’elle n’avait plus peur de lui et qu’elle ne craignait pas de réveiller sa harpie.
— Je ne suis pas furieux, mentit-il.
— Ah bon ? Dans ce cas, pourquoi as-tu menacé William ?
Il ne répondit pas. Il était trop préoccupé par la seule question qui lui paraissait importante.
— Est-ce qu’il t’a touchée ? demanda-t-il d’un ton mordant.
S’il apprenait que ce grossier personnage était allé plus loin que de vagues et stupides avances, il était prêt à faire demi-tour et à le donner en pâture aux bêtes sauvages de la forêt.
— Mais non, voyons ! protesta Gwen. Il ne m’a pas touchée. Et tu me fais mal, avec tes ongles.
Sabin desserra aussitôt sa main et fit rentrer ses griffes rétractiles.
Il se sentit brusquement plus calme. Et plus impatient aussi.
— Il t’a menacée ? demanda-t-il d’un ton posé.
— Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher ? S’il m’avait menacée, je me serais rebiffée.
Cette fois, il ne put retenir un sourire – le premier de la journée. Quand elle était seulement Gwen et que sa harpie ne se manifestait pas, cette femme était une créature douce et docile, une mer de bonté et de sérénité. Il ne pouvait s’empêcher d’en être attendri. Elle était tellement différente de lui. Lui avait un caractère violent, une vie marquée par la haine et la guerre.
— Tu te serais rebiffée ? Et comment ?
Il voulait lui faire admettre qu’elle avait besoin de quelqu’un pour la protéger. Dans ce château, aussi bien qu’à l’extérieur, elle avait besoin de lui. Jusqu’à ce qu’elle ait appris à contrôler sa harpie.
Pour toute réponse, Gwen poussa un petit cri exaspéré et tenta de se libérer de l’emprise de sa main. Il l’en empêcha. L’idée de rompre le contact physique entre eux lui était étrangement pénible.
— Tu me prends vraiment pour une nouille ! protesta-t-elle.
— Pas du tout. Il se trouve simplement que tu es belle et que ce château est plein d’hommes.
— Tu me trouves désirable ?
Elle ne l’avait donc pas encore compris ?
— Peu importe, murmura-t-elle alors qu’il hésitait à répondre.
Visiblement, elle était aussi gênée que lui.
— Parlons d’autre chose, poursuivit-elle. J’ai visité le château avec Anya. Je le trouve magnifique.
Elle haletait. Après un an d’emprisonnement, elle ne devait plus être habituée à marcher vite et longtemps.
Le château était magnifique, elle avait raison… Les stries dorées qui veinaient le sol de pierre lui rappelaient les filaments d’or des yeux de Gwen. Les tables de bois de cerisier répondaient à la couleur de ses cheveux. Le marbre qui incrustait les murs évoquait la perfection de sa peau.
Mais depuis quand voyait-il Gwen partout ?
Ils venaient d’atteindre le haut du deuxième escalier et étaient presque arrivés. En apercevant enfin la porte de sa chambre, Sabin poussa un soupir de soulagement. Il n’allait pas tarder à savoir comment Gwen réagirait quand elle saurait qu’il voulait la marquer.
Il craignait tout de même un peu la harpie qui risquait de compliquer les choses. Mais tant pis. Il n’avait pas le choix.
— Il est dangereux. Il va te faire du mal.
Crainte se manifestait de nouveau. L’occasion était trop belle, il n’avait pas pu résister.
— Tu la boucles ! lança Sabin tandis que Crainte ricanait, heureux d’avoir déjà semé le doute.
Gwen parut choquée.
— Tu es vraiment obligé de parler sur ce ton ?
— Oui.
Il dut la tirer fermement par le bras pour la faire entrer dans la chambre et referma la porte à clé derrière lui. Puis il se tourna vers elle. Elle avait pâli et tremblait de nouveau.
— Je ne m’adressais pas à toi, dit-il pour la rassurer.
— Tu t’adressais à ton démon. À Crainte.
Elle savait donc… Il se massa la nuque, tout en se promettant d’étrangler la déesse de l’Anarchie à la première occasion.
— C’est Anya qui te l’a dit, murmura-t-il.
Il aurait préféré qu’elle l’apprenne plus tard, quand elle le connaîtrait mieux.
Elle secoua la tête.
— Non, c’est William. Ton démon va donc me pousser à douter de toi ?
Elle se mit à triturer ses mèches de cheveux. Un tic nerveux, probablement.
— Il va te pousser à douter de tout. De tes choix, de l’air que tu respires, de ceux qui t’entourent. C’est plus fort que lui. Il se nourrit de la confusion des autres. Il y a quelques minutes, il a cherché à introduire dans ton esprit l’idée que je m’apprêtais à te faire du mal. C’est pour ça que je lui ai demandé de se taire.
Elle ouvrit de grands yeux et les stries dorées de ses prunelles s’élargirent.
— C’est donc lui que j’entends ? Je me disais bien que cette voix intérieure n’était pas la mienne.
Il fronça les sourcils.
— Tu es capable de distinguer sa voix de la tienne ?
— Oui.
Ses compagnons identifiaient son démon parce qu’ils étaient habitués à son vocabulaire, et celui-ci ne parvenait pas à les tromper longtemps. Mais Gwen était une étrangère…
— C’est la première fois que je rencontre quelqu’un capable d’un tel prodige, fit-il remarquer.
— Ah bon ?
Elle eut l’air songeuse.
— En tout cas, ton démon est particulièrement habile et sournois, dit-elle enfin.
— Je sais, répondit-il seulement.
Il fut surpris qu’elle ne se mette pas à hurler de terreur. Au contraire, elle paraissait plutôt ravie. Ravie d’apprendre qu’elle avait déjoué Crainte.
— Il détecte la moindre faiblesse, la moindre faille, ajouta-t-elle.
Puis son visage se ferma, comme si elle regrettait d’avoir avoué qu’elle avait des failles. Elle avait honte… Sabin songea qu’il la préférait fière et joyeuse. Il détourna le regard pour lui laisser le temps de reprendre contenance.
Ses yeux tombèrent sur le plateau abandonné sur la commode et il se retint de sourire. Anya avait donc réussi à faire manger Gwen la harpie. Il remarqua qu’elle avait repris des couleurs et que ses joues paraissaient plus rondes. Il remarqua aussi quelques bourrelets, au niveau de sa taille, qui n’étaient sûrement pas une conséquence de son unique repas.
Un rapide coup d’œil à la pièce lui suffit pour détecter que le coffre dans lequel il rangeait ses armes avait été déplacé de quelques centimètres. Elle avait dû forcer la serrure et le fouiller.
La petite voleuse, sous son regard insistant, se mit à rougir.
— À quoi penses-tu ? demanda-t-elle.
— Je réfléchissais.
Il décida de ne rien dire, pour le coffre. Si elle avait besoin d’être armée pour se sentir en sécurité, il lui laisserait des armes. Car plus elle se sentait en sécurité, plus la harpie se tiendrait tranquille.
— Ta façon de me fixer me rend nerveuse, avoua-t-elle en essuyant ses paumes moites sur ses cuisses.
— Dans ce cas, nous allons nous employer tout de suite à éliminer une fois pour toutes tes appréhensions, dit-il. Déshabille-toi.
Elle poussa un cri étranglé.
— Pardon ?
— Tu m’as très bien compris. Je t’ai demandé de te déshabiller.
Il avança vers elle. Un pas. Un autre. Elle recula, en levant les mains pour l’arrêter.
— C’est non. Vraiment non !
Comme il continuait à avancer, elle continua à reculer et ses jambes heurtèrent le rebord du lit. Elle tomba à la renverse sur le matelas.
— J’ai basculé sans le vouloir ! s’empressa-t-elle de crier. Je ne l’ai pas fait exprès. N’interprète surtout pas ça comme une invite.
— Je sais. Mais tu vas tout de même te déshabiller et nous allons prendre une douche.
Il n’avait pas abandonné l’idée de la marquer. Mais elle devait aussi se laver. Et puisque les deux exigeaient qu’elle soit nue, autant en profiter.
— Je veux bien me doucher, mais seule, protesta-t-elle d’une voix qui tremblait.
— Nous prenons une douche ensemble, et c’est comme ça, dit-il d’un ton qui n’admettait pas de réplique.
Il fit passer sa chemise par-dessus sa tête. Sa chaîne de cou, un cadeau de Baden, rebondit sur sa poitrine en même temps que la chemise tombait à ses pieds.
— Remets ça tout de suite ! hurla-t-elle en contemplant fixement le papillon tatoué sur son ventre. Je ne veux pas voir…
Elle ne voulait pas voir, mais elle avait les pupilles dilatées de convoitise. Elle n’était pas seulement paniquée…
Il ôta une botte, qui résonna bruyamment sur le sol, puis l’autre. Ensuite, il défit posément sa braguette.
— Nous allons prendre une douche ensemble, que tu le veuilles ou non, Gwendolyn.
Elle secoua vigoureusement la tête et ses boucles rousses dansèrent. Mais elle ne détourna pas le regard. Ses yeux se posèrent sur le renflement entre ses jambes. Elle respirait vite, avec un sifflement rauque.
— Tu avais promis de ne pas me faire de mal, gémit-elle.
— Et je ne t’en ferai pas. Je te propose de prendre une douche, de te laver. Ça n’a rien de menaçant.
Il se débarrassa complètement du pantalon. Cette fois, il était entièrement nu. Et il avait une érection.
Gwen se passa la langue sur les lèvres, comme si elle en avait l’eau à la bouche. Le T-shirt qu’elle lui avait emprunté était trop large pour elle, mais il voyait tout de même que ses seins avaient durci sous le tissu. Encore un signe qui ne trompait pas…
Quand elle l’avait embrassé, dans l’avion, il avait eu l’impression, sans en être certain, qu’il lui inspirait du désir. À présent, il n’en doutait plus. Et il ne pouvait s’empêcher de s’en réjouir, même si c’était stupide, même s’il savait que cela ne les mènerait nulle part.
— Je n’ai pas l’intention de te baiser, dit-il.
Il cherchait à la choquer, juste pour l’obliger à détourner le regard de ce sabre impudique qui se dressait entre ses jambes.
La ruse fonctionna. Elle le regarda droit dans les yeux.
— Ah ? Tu… Tu en es sûr ? Et que veux-tu donc de moi ?
— Je veux t’embrasser et de caresser. Je veux te marquer d’un suçon et te donner un orgasme qui te fera hurler.
William ne pourrait plus prétendre qu’elle ne lui appartenait pas. Mais c’était dans le seul but de la marquer : il n’avait pas l’intention de prendre du plaisir.
— Tu es certain d’avoir ce qu’il faut pour plaire à une femme comme elle ? Belle comme elle est, elle a dû connaître beaucoup d’hommes qui lui ont fait des choses que tu n’es même pas capable d’imaginer…
Il serra les dents. Il comptait des siècles d’existence, mais son expérience des femmes était plus que réduite. Sur l’Olympe, il avait passé le plus clair de son temps à combattre pour les dieux, et il ne lui en était guère resté pour rechercher le plaisir. Ensuite, quand les dieux l’avaient banni, il s’était laissé envahir par les ténèbres et n’avait songé qu’à tuer. Et quand il avait appris à contrôler son démon, il avait pris conscience du mal qu’il faisait aux femmes et avait décidé de les éliminer de sa vie.
Il s’était tout de même cru plusieurs fois amoureux et avait courtisé quelques femelles, mariées ou pas. C’était son point commun avec William. Les rares fois où il avait désiré une femme, rien ne l’avait arrêté.
Darla avait été la dernière, et il n’était pas près d’oublier à quel point il l’avait ravagée. Quand il avait rencontré Darla, elle était mariée à un chasseur, Dean Stefano, le bras droit de Galen. Elle était venue spontanément à lui pour lui fournir des renseignements de première importance, comme la cache d’armes de son mari et de ses compagnons, ainsi que les attaques qu’ils préparaient. Elle en avait assez de cette guerre qu’elle n’approuvait pas, avait-elle dit. Au début, Sabin l’avait prise pour un appât, puis il s’était rendu compte qu’elle était sincère.
Ils étaient devenus amants. Sabin lui avait demandé de quitter son mari, mais elle avait refusé et préféré continuer à vivre avec lui pour mieux l’espionner. Sabin avait approuvé cette décision parce que c’était la meilleure pour son combat. Ils s’étaient vus régulièrement, mais chacune de leurs rencontres ôtait à Darla un peu de sa joie de vivre. Il avait tenté de l’aider, de lui redonner confiance en elle, mais elle avait évidemment fini par douter de lui. Elle s’était ouvert les veines pour cesser de se torturer l’esprit.
À présent, Stefano le haïssait et ne songeait qu’à se venger de lui.
Depuis Darla, Sabin n’avait plus approché une femme.
Jusqu’à Gwen.
Est-ce que Gwen résisterait mieux que Darla ?
— Eh bien ? insista-t-elle. Tu n’as pas répondu à ma question.
Il s’efforça de chasser de son esprit les craintes inspirées par son démon.
— Je veux que tu te douches. Avec moi.
Elle secoua la tête.
— Je ne veux pas. Je ne peux pas.
— Je m’en fiche, répondit-il en avançant.
Elle retomba en haletant sur le matelas et alla se réfugier contre la tête de lit, sans le quitter des yeux.
— Sabin, non, je ne veux pas…
— Tu le veux, mais tu as peur.
— Peut-être bien. Mais qu’est-ce que ça change ? Ma peur risque de réveiller ma harpie. Je ne voudrais pas te tuer.
— Je me bats contre les chasseurs depuis des milliers d’années. Je n’ai pas peur d’une jeune harpie.
Il faisait le fier, mais il n’était pas sûr de contrôler une harpie, jeune ou pas.
Une étincelle de désir brilla dans les yeux de Gwen.
— Tu te crois vraiment capable d’avoir le dessus sur une harpie ? demanda-t-elle.
Il grimpa sur le lit et s’approcha lentement d’elle.
— J’espère ne pas avoir à la combattre, dit-il. Et si je dois le faire, nous verrons bien qui aura le dessus.
— Non ! protesta-t-elle. C’est trop risqué !
Elle commit l’erreur de tenter de le repousser du pied, et il en profita pour lui saisir la cheville.
— Nous ne le saurons jamais tant que nous n’aurons pas essayé, rétorqua-t-il.
Il vit une larme rouler sur ses joues et son cœur se serra.
— Ne t’inquiète pas, reprit-il d’un ton rassurant. Je ne veux surtout pas te faire de mal, je te le jure.
« Ne te laisse pas attendrir. »
— Et je veux te prouver que je suis capable d’affronter ta harpie.
Elle pleura de plus belle et il fit un effort pour ne pas se laisser attendrir. Pour elle. Pour lui. Pour la paix de ce château. Il devait absolument la marquer, qu’elle le veuille ou non. Il était un guerrier, et un guerrier allait jusqu’au bout de ce qu’il avait décidé. Peu importait le prix à payer.